Le numéro d'avril de Philosophie Magazine est consacré aux uchronies. Dans le texte introductif, Martin Legros écrit
«Eric-B Henriet y voit un outil expérimental stimulant, qui permet de réaffirmer la multiplicité des possibles et de rejeter toute idée de fatalité. En même temps, reconnait-il, il entretient la nostalgie des histoires parallèles et le rejet du réel au profit d'un jeu purement virtuel et puéril. Ce qui faisait dire à Aristote que celui s'adonne à ce type de rêveries «raisonne comme un végétal» (Eric-B. Henriel, L'Uchronie, Klincksieck)»
J'ai pensé à Second Life. Pas parce qu'il y aurait des uchronies dans chaque île (même s'il y a des tentatives diverses, parfois très réussies), mais parce qu'il y a l'adjectif «virtuel», qui est utilisé par convention pour parler des mondes numériques, le groupe nominal «histoires parallèles», qui fait écho au sens du nom «Second Life».

Pourtant, lorsque je me téléporte dans un lieu de Second Life, je vais réellement dans un lieu. J'y rencontre de vraies personnes (généralement, même s'il m'arrive aussi d'essayer de discuter avec des robots ;-)).


Entrée de l'exposition La Planète des Petits Princes (slurl)


Je peux marcher dans la rue, rentrer chez moi, allumer mon ordinateur et me connecter aux mondes de Second Life, déambuler dans une galerie d'exposition, faire du shopping (et, éventuellement, recevoir un objet par le service postal, dans la «réalité»), rencontrer d'autres personnes, jouer, puis quitter mon ordinateur et partir faire du shopping (et, éventuellement, acheter des objets numériques: films, musique, logiciels...), rencontrer d'autres personnes (et éventuellement les mêmes que précédemment), jouer, voir une expo. Il n'y a pas nécessairement discontinuité entre mon identité online et mon identité offline.

Second Life n'est pas forcément une uchronie, même s'il en existe dans Second Life. Des mondes - steampunk, Gore -, des RP (Star Trek, StarWar), des uchronies politiques, économiques (et si le capitalisme était aboli, et si on pouvait créer ex nihilo un monde durable) des uchronies personnelles (et si j'étais une femme, un robot, un homme, un-e furry, un tiny, jeune, vieux, beau, laid, etc...), des uchronies interpersonnelles (et si j'étais marié, avais des enfants, exerçais telle profession, etc.).

Aristote ne pouvait pas imaginer que ces uchronies là pourraient être en mode immersif, qu'elles pourraient être plus que de simples rêveries. Il me semble qu'il ne s'agit pas là de quelque chose de «purement virtuel et puéril». D'abord, parce que cela permet de créer, imaginer, sortir des conformismes, se questionner, s'interroger. Ensuite parce que des serious games peuvent être éducatifs, instructifs. Mais peut-être que je raisonne comme un végétal.