Ce matin, j'étais content de mettre la vidéo de présentation de Susan Wu, au Web, à propos des biens virtuels, dans ma revue. Lorsque j'avais vu, en live, l'intervention, j'avais twitté: «La présentation de Susan Wu à #leweb est excellente et enfin loin des stéréotypes habituels sur l'inexistance des objets intangibles!»

Pourtant, ce soir, je m'aperçois que mon enthousiasme n'est pas forcément partagé. En effet, Marjorie Soutric, qui écrit pour VirtualWorldsNews.fr, avec notamment Fred Cavazza, a commis un billet à charge contre Susan Wu, l'accusant de promouvoir le Gold Farming.

Il me semble, à moi, que les propos de Susan Wu sont trahis et que des intentions lui sont données qu'elle n'a pas.

Disclaimer: Je parle en mon nom, et seulement en mon nom, pour aucune association et je ne connais pas Susan Wu. C'est dit ;-)

D'abord, la vidéo, si vous ne l'avez pas vu:



Ce qui me semble intéressant, dans ce qu'a pu développer Susan Wu, c'est qu'elle essaye de décrire ce qui est en cours en ce moment. Elle fait un état des lieux, elle évangélise en disant le présent. Elle a forcément une grille de lecture orientée business car elle veut faire du cash. Et le public qui a payé 1500€ pour venir l'écouter, aussi. Elle dit simplement ça: les mondes numériques peuvent être des mines d'or. Elle parle de tous les mondes numériques, des réseaux de socialisation, des réseaux communautaires, des mondes numériques en 3D aussi, bref tout ce qui est sur l'Internet.

Au contraire, Marjorie Soutric adopte une attitude, une position, une certaine grille de lecture. Je n'en connais pas les raisons, mais les choses sont assez claires:
  • «Susan Wu nous a tout d’abord interpellés avec une question que tous les sceptiques des mondes virtuels se posent» Marjorie semble, dans son écriture, adopter cette position.
  • «on peut se demander, surtout en ces temps de crise, pour quelles raisons les gens investiraient dans des objets superficiels qui n’ont même pas de réalité.» Cette phrase est un bijou d'incompréhension de ce que sont les biens dits virtuels. Marjorie ne dit pas je, ce n'est donc peut-être pas sa position, mais puisqu'elle ne critique pas son énoncé, je vais le faire:
    1. Il n'est pas absurde de penser que c'est surtout en temps de crise que les gens vont préférer le micropaiement sur des objets numériques plutôt qu'un maxi paiement sur des élèments tangibles.
    2. Pourquoi des biens virtuels seraient ils des «objets superficiels»? C'est, d'ailleurs, si on écoute Susan Wu, tout le contraire puisqu'il s'agit d'égo et d'interactions entre les gens.
    3. Enormément de choses n'ont pas de «réalité». Susan Wu parle des marques, par exemple, mais aussi de l'amour. J'ajouterais aussi les valeurs, la charge symbolique. Est-ce pour autant qu'on considère que ça n'a aucune réalité?
  • «Les mondes virtuels semblent n’être pour Susan qu’une gigantesque plateforme à créer de la passion chez les utilisateurs où les entrepreneurs seraient là pour se servir de cette passion à des fins purement business. On pourrait facilement faire le parallèle avec la production de “temps de cerveau disponible” par TF1.» J'ai réécouté plusieurs fois l'intervention de Susan Wu et il me semble que, là, Marjorie fait un procès d'intention à Susan. Je suis étonné qu'on puisse reprocher à des entrepreneurs de vouloir faire du business. Reproche-t-on à un maçon d'utiliser le besoin des gens pour un toit? Certes, la conférencière parle bien de faire du cash, mais en échange de services, notamment.Quant à la comparaison avec TF1.. Ben, non, je vois pas comment le parrallèle pourrait être facile: ce n'est pas le même processus mental. Devant la télévison, nous sommes passifs. Dans un monde virtuel, nous sommes actifs... et ça change tout!

Marjorie indique ensuite pourquoi elle n'est pas d'accord avec ce qu'elle fait dire à Susan Wu:
  • «je ne suis pas du tout certaine que le “tout business” soit la meilleure des choses à implémenter dans les mondes virtuels.» Pareil! Moi aussi! D'accord à 100% avec toi Marjorie! Mais il ne m'a pas semblé que Susan Wu disait qu'il fallait du tout business.
  • «Quel plaisir pourra t-on prendre à se promener au sein d’un monde virtuel si l’environnement de ce monde devient aussi agressif en terme de publicité et de push produits que le monde réel ?» Sans doute aucun. Enfin, j'espère... Pourtant,dans ses prédictions pour 2009, Fred Cavazza prédit l'explosition de plein d'univers virtuels de marques. A mon avis, seul Second Life, parce qu'il y a de l'open source (grid, viewer, sims), du contenu créé par les utilisateurs peut éventuellement être sans aucune publicité.
  • «La monétisation de services et d’objets dans les mondes virtuels: Oui mais de manière intelligente et en respectant l’univers du jeu.» Susan Wu me semble assez intelligente pour ne pas scier la branche sur laquelle elle veut s'asseoir. La publicité intelligente, c'est peut-être alors ce qui se passe avec Home. Si j'en crois Fred Cavazza: « l’ambition de Sony est avant tout de jouer la complémentarité avec ses autres “produits” (musique, films, jeux…). (....) L’univers n’est pour le moment pas très grand (certainement pour éviter l’effet de désertification constaté sur Second Life) et est composé de galeries marchandes, places publiques, salles de jeux… pour favoriser la sociabilisation entre avatars.»

Vient ensuite la partie sur le Gold Farming. Susan Wu dit qu'il est possible d'acheter des objets dans World of Warcraft contre des vrais dollars. C'est un fait. C'est un exemple pour dire qu'il est possible d'échanger un bien virtuel contre du temps. Sur Second Life, personnellement, j'ai acheté certaines de mes vêtements, de mes objets. Il m'aurait fallu un temps fou pour apprendre à les construire. Peut-être ai-je eu tort? Dans la vie matérielle, on échange aussi du temps contre de l'argent. Ca s'appelle le salariat. Je peux aussi acheter une carte postale, l'envoyer (avec un timbre que j'aurai acheté dessus), plutôt que me fabriquer un appareil photo, prendre une photo, la développer moi-même, sur du papier-photo que j'aurai fabriqué, et la porter à la personne. Ce n'est pas la même chose que le gold farming? Pourquoi est-ce que ce serait différent? Est-ce différent des conditions de travail des autres travailleurs à côté d'eux? Il suffit de lire No Logo (ok, c'est un peu long... mais il y a plein d'exemples) pour voir qu'énormènement de produits sont créés dans des conditions que nous jugeons innacceptables. Mais je n'ai toujours pas compris en quoi dire que la marchandisation des biens virtuels existe reviendrait à tout légitimer.

Ceci étant dit, Marjorie n'est pas seulement dérangée par la condition des gold farmers. Elle défend aussi les droits de la société Blizzard, et sa réputation: « Les objets vendus illégallement (car vendre un objet de WoW en $ est totalement interdit par Blizzard l’éditeur du jeu) viennent contrarier la règle du jeu. (...) Les gold farmers, ces paysans des mondes virtuels, sont accusés de fausser les données du monde de WoW, de contribuer à l’inflation de l’économie, et même de participer au blanchiment d’argent réel dans les univers virtuels.»

Marjorie sait, aussi, comment on joue à WoW: «Susan montre qu’elle n’a pas compris l’essentiel de la dynamique d’un MMORPG : dans ce type de jeu la gloire et les équipements s’obtiennent par le temps passé à jouer.» Sauf que ce n'est pas Susan Wu qui achètent des objets dans World of Warcraft mais elle dit simplement que plein de joueurs le font. Est-ce parce qu'ils n'ont pas compris comment jouer? Etudier la dynamique d'une MMORPG, n'est-ce pas regarder ce qui est et pas ce qu'on voudrait qu'il soit? Je ne dis pas que le Gold Farming est bien, mais qu'il existe, et qu'il signifie aussi quelque chose.

Dans cette histoire, ce qui me semble important, c'est que ce sont les règles mêmes que Blizzard a mises en place qui ont induit cela. Sébastien Julian parle de «flou juridique» mais, me semble-t-il, pour WoW, c'est aussi lié à la manière où, dans le jeu, on peut acquérir des objets.

Dans Second Life, il y a aussi des gold farmers: des designers, des builders, des scripters, qui copient des objets et les revendent moins chers. Mais les résidents n'achètent pas seulement en fonction du prix mais aussi pour le travail, le temps, que le créateur a mis dedans. Et puis, il y a beaucoup de freebies, d'objets que l'on peut copier, modifier, distribuer gratuitement. et du coup, ce n'est qu'un épiphénomène (il me semble, je ne crois pas avoir lu un truc dessus depuis au moins un an.... mais peut-être que je me plante.)

Aller, terminons par chiffres que je reprends du blog de Sébastien Julian:
  • «il y aurait environ 400000 gold-farmers dans les pays émergents. Le gold-farming pèserait donc - en matière d'emploi - autant que le très médiatisé secteur de l'informatique en Inde»
  • «les gold-farmers gagneraient (...) un peu moins de 100 euros (...) mais il faut savoir qu'en Chine, le revenu moyen de la population agricole est de 40 euros par mois !»

L'article de Marjorie est .